Vendredi 13 octobre 2023, un professeur de littérature, Dominique Bernard, a été tué sur son lieu de travail et dans l’exercice de ses fonctions, à Arras. Deux autres membres de la communauté éducative ont aussi été blessés. Cet événement fait tristement écho à l’assassinat de Samuel Paty, enseignant d’histoire et géographie, survenu le 16 octobre 2020 dans des circonstances atroces. Et nous ne pouvons pas penser à ces deux victimes sans mentionner également celles de Charlie Hebdo ou de Paris lors des attaques de 2015 ou encore celles de Toulouse en 2012.
Une question revient à chaque fois que de telles atrocités arrivent en France : doit-on en parler aux enfants ?
Un choix imposé par l’adulte
La décision de parler ou de ne pas parler à un enfant d’événements aussi terribles que des attentats terroristes est prise par l’adulte : le parent ou l’enseignant. Les enfants sont la catégorie d’êtres humains qui ont le moins de pouvoir sur leur vie. Et c’est l’adulte qui a le pouvoir de décider de la réalité pour les enfants, c’est ce qu’on appelle la priorité de définition. Cette idée repose sur la notion de pouvoir, où ceux qui ont le pouvoir, principalement les adultes, peuvent influencer la perception des choses des personnes moins puissantes, telles que les enfants.
Pourtant, dans la Convention des droits de l’enfant, ratifiée en 1989 par 197 pays dont la France, il est bien fait mention que l’enfant doit être acteur de sa vie et des décisions qui le concernent : l’article 12 dit que l’enfant a le « droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant » et l’article 13 ajoute qu’il a le droit de « rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce ». Le Comité des droits de l’enfant, dans son Observation générale n°12, va plus encore en écrivant « Les Etats parties doivent garantir le droit d’être entendu à tout enfant « capable de discernement » (article 12). Cette expression ne doit pas être perçue comme une restriction, mais plutôt comme l’obligation pour les Etats parties d’évaluer la capacité de l’enfant à se forger une opinion de manière autonome dans toute la mesure possible. Cela signifie que les Etats parties ne peuvent pas partir du principe qu’un enfant est incapable d’exprimer sa propre opinion (…). »
Faire le choix de ne rien dire aux enfants, c’est leur imposer arbitrairement qu’ils ne sont pas en mesure de comprendre ce qui se passe sous leurs yeux. C’est aussi, bien souvent, choisir la facilité parce qu’on est mal à l’aise à l’idée d’évoquer ces sujets, on a peur de la réaction des enfants, on angoisse de ne pas savoir répondre à leurs questions, on pense qu’on va les traumatiser. Ce sont donc nos émotions d’adultes et notre difficulté à les gérer qui prennent le pas sur notre décision.
Quoi qu’il en soit, si l’on souhaite effectivement parler aux enfants, cela doit se faire dans le strict respect de leurs capacités émotionnelles et cognitives. Pour cela, il est intéressant de se pencher sur les neurosciences et le développement du cerveau pour avoir mieux conscience des enjeux.
Entre 0 et 3 ans
Les premières années de la vie sont cruciales pour le développement cérébral. Le cerveau connaît une croissance rapide, notamment dans le cortex préfrontal, qui est impliqué dans la régulation des émotions et la prise de décision. À cette étape, le cerveau est particulièrement plastique, ce qui signifie qu’il est hautement adaptable et réactif à l’apprentissage.
Est-il indispensable de parler aux enfants de cet âge des événements ? Non, pas nécessairement sauf si :
– ils ont été témoins d’images ou de discours sensibles,
– ils sont victimes de ces événements (ils connaissent une personne touchée ou un lieu ciblé…)
– les adultes autour de lui sont très affectés par l’évènement.
Bien sûr, il n’est pas question à cet âge de raconter les faits ou de donner des détails mais de donner des clés de compréhension à l’enfant : ne pas de donner des détails choquants et terrifiants de l’attaque qui n’auraient pour conséquence que de le traumatiser, créer un environnement calme et apaisant pour rappeler à l’enfant qu’il est en sécurité, être attentif à ses émotions, favoriser la stabilité et les routines qui sont extrêmement importantes pour le bien-être de l’enfant. Si les enfants sont très angoissés, vous pouvez promouvoir la sécurité physique en fermant les portes, les fenêtres… avec lui et en verbalisant ces moments. Mais attention, si votre enfant montre des signes de stress ou d’anxiété persistants, adressez-vous à un professionnel qui saura parler et réconforter votre enfant.
Quels termes employer ? On prohibe tous les mots comme : terrorisme, attaque, meurtre… et on axe plutôt la conversation sur les émotions « Je me sens triste/en colère parce qu’il s’est passé quelque chose de grave mais tu es en sécurité et ça me rend heureuse/heureux ». Il n’est pas fait mention des faits mais uniquement des émotions présentes dans l’environnement direct de l’enfant.
Il n’est absolument pas nécessaire d’en dire plus ! Le petit enfant n’est pas capable de comprendre des concepts aussi complexes et il reste très vulnérable émotionnellement. Ce qui compte, c’est de pouvoir lui expliquer que VOUS ressentez des émotions négatives mais que lui est en sécurité et que vous vivez ensemble des moments heureux.
Entre 3 et 6 ans
Au cours de cette période, le cortex préfrontal continue de se développer. Les capacités de mémoire, d’attention, de raisonnement et de planification commencent à se renforcer. L’apprentissage du langage est une caractéristique importante de cette étape, et le cerveau subit des changements significatifs pour soutenir cette compétence.
Les enfants de 3 à 6 ans ont une compréhension limitée des événements traumatiques. Ils peuvent ressentir la peur, la confusion et l’anxiété face à des situations effrayantes, mais leur capacité à comprendre la complexité de ces événements est limitée. Leur perception des événements traumatiques est souvent basée sur des émotions et des impressions plus que sur une compréhension rationnelle.
Si votre enfant n’est pas scolarisé et qu’il n’a pas été en contact avec les événements par les médias (télévision, radio, réseaux sociaux…) ou par des conversations d’adultes, il n’est pas nécessaire d’en parler avec lui, sauf si vous en ressentez le besoin.
En revanche, si votre enfant est scolarisé, il y a de fortes chances pour que l’événement lui soit rapporté soit par ses enseignants qui prendront un temps d’explications en classe, soit par ses camarades qui auront chacun une interprétation personnelle des faits. En gros, vous ne maitriserez pas le discours rapporté à votre enfant, il est donc préférable de lui en parler en amont pour prévenir.
Quels termes employer ? Comme chez les touts-petits, il faut s’en tenir aux ressentis et non aux faits en eux-mêmes. Si les enfants ont des questions, il est tout à fait possible de leur dire « Je ne peux pas répondre à ta question pour le moment car tu es trop jeune et c’est un sujet compliqué ». Les enfants sont tout à fait capables d’entendre qu’ils auront la réponse à leur question plus tard (un peu moins qu’ils n’auront jamais la réponse car on les juge incapable de comprendre).
Entre 7 et 12 ans
Le développement cérébral se poursuit avec l’affinement des compétences cognitives. Les connexions neuronales se renforcent à mesure que les enfants acquièrent des compétences en mathématiques, en lecture et en résolution de problèmes. Les compétences sociales et émotionnelles continuent de se développer, aidées par l’expérience et l’apprentissage. Si les enfants sont capables de comprendre des concepts plus complexes que les jeunes enfants, ils sont toujours en train de développer leur capacité à gérer des informations stressantes, il faut donc être vigilant sur plusieurs points.
Que l’on soit enseignant ou parent, on doit se préparer à discuter avec eux de ces sujets qui les touchent directement parce qu’ils sont victimes ou témoins de l’émotion suscitée par ces événements, ou indirectement par la mise en place de mesures de sécurité.
Choisir ses mots et le ton que l’on utilise est très important pour aborder ces thèmes avec les enfants de cette tranche d’âge. Il faut utiliser un langage simple mais clair et honnête, évidemment, on évite d’utiliser un ton alarmiste ou effrayant : l’adulte doit alors être sérieux mais rassurant. Concernant les faits en eux-mêmes, vous pouvez rester sur les faits très généraux. Il vaut mieux éviter de rentrer dans les détails : d’abord pour ne pas choquer les enfants qui ne seraient pas au courant mais aussi pour inviter les autres à respecter les victimes en ne dévoilant pas des détails sordides.
Il est important de recontextualiser ces événements : ils sont graves et terrifiants mais ces actes violents ne sont commis que par une tout petit nombre de personnes et que la majorité des personnes s’oppose à cette violence. Les adultes sont présents pour protéger les enfants. Il est important de parler de la paix, de la tolérance, de l’importance de l’éducation pour lutter contre ces idéologies violentes. Il est intéressant de discuter de la manière dont les communautés se relèvent après de tels événements. Soulignez la résilience et la solidarité après les derniers actes de violence en France : les marches pour la liberté, l’union entre toutes les personnes de toute nationalité, religion, culture, les mots d’amour et de paix des victimes ou des proches des victimes.
Surtout, on évite les discours politiques ou religieux : les enfants vont répéter ce qu’ils entendent à la maison, dans la cour de récréation ou dans les médias, vont facilement accuser des communautés ou des personnes sans savoir de quoi ils parlent.
Chez les enfants de cette tranche d’âge, il est extrêmement important d’engager la discussion et de les laisser échanger afin qu’ils aient la possibilité d’exprimer leurs émotions. Ils ont le droit d’avoir peur, d’être triste, d’être en colère, et même de ne pas se sentir concerné, et c’est NORMAL. Chacun réagit différemment : certains veulent être entourés pour se sentir rassurer, d’autres ont besoin d’être seuls… à chacun sa manière de digérer ces informations. Il est donc important que l’adulte soit en mesure de valider les sentiments exprimés par les enfants en les normalisant. Toutefois, si un enfant se montre particulièrement angoissé ou stressé et que ces émotions persistent, il peut être nécessaire de consulter un professionnel de santé afin de l’aider à être rassuré.
Enfin, il ne sert à rien de créer un environnement anxiogène dans le quotidien de l’enfant. Pour ne pas susciter encore plus de peur, l’enfant doit retrouver ses routines de tous les jours. Oui la discussion est ouverte, oui ce qu’il s’est passé est grave mais au lieu d’être triste, essayons d’être heureux et trouvons des solutions ensemble pour ne pas avoir peur ou angoissé : dessinons, parlons, chantons, dansons, jouons…
A partir de 13 ans
Au cours de l’adolescence, le cerveau continue de se développer, en particulier dans le domaine de la matière grise, qui est essentielle pour le traitement de l’information. La matière blanche, qui forme les connexions entre les différentes régions cérébrales, continue de se développer, améliorant la coordination et la communication entre les zones du cerveau.
En adoptant un discours ouvert, informatif et empathique, vous pouvez aider l’adolescent à développer une compréhension plus approfondie des attaques terroristes, à renforcer sa pensée critique et à promouvoir des valeurs de paix, de tolérance et de diversité. Les apports des neurosciences nous rappellent que l’écoute active et la communication respectueuse sont essentielles pour soutenir le développement cognitif et émotionnel des adolescents.
Avec les plus grands, il est possible d’aller plus loin dans la compréhension des événements. Non pas en restant sur les actes de violence en eux-mêmes, mais en essayant de comprendre leurs origines et leurs conséquences. Fournissez un contexte historique des attaques terroristes et expliquez leurs origines, leurs motivations et leurs conséquences. Encouragez l’adolescent à réfléchir sur les facteurs qui conduisent à de tels actes. Attention, cela ne veut pas dire que l’on ne condamne pas ces événements : réfléchir sur les facteurs ne veut pas dire cautionner ou donner des circonstances qui font que ces actes ont une légitimité. Bien au contraire, il est absolument nécessaire de faire comprendre aux adolescents que si ce sont les établissements scolaires qui sont ciblés, les enseignants, c’est que l’éducation est la meilleure arme contre l’obscurantisme : en apprenant aux élèves à penser par eux-mêmes, on empêche les idéologies extrémistes de faire leur chemin dans les esprits. Discutez de l’importance de la tolérance, du respect des différences culturelles et de la diversité. Expliquez comment ces valeurs sont essentielles pour prévenir la radicalisation et le terrorisme.
Parler de ces événements, même avec les adolescents plus âgés, ne signifient pas donner les détails morbides des attaques. Cela veut dire leur laisser l’opportunité de comprendre le mal, d’exprimer les émotions que cela suscite (la peur, la colère, la confusion…) et de permettre d’échanger pour s’opposer à la violence.
Notre contribution
Dans les glossaires destinés aux enfants et aux adolescents, vous trouverez des fiches explicatives du concept de terrorisme adapté aux différentes tranches d’âge. Ces fiches peuvent être le point de départ d’un travail sur la paix, la tolérance, la diversité… d’un événement tragique peut ressortir du positif.